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Comment vivez vous cette période ?
Fin janvier l'OMS a déclaré l'infection comme une pandémie. Les symptômes connus nous faisaient penser à une grosse grippe. Nous, moi et d'autres professionnels de santé, avions du mal à comprendre et à prendre au sérieux la menace. Puis en Février, au vu de ce qu'il se passait en Chine, j'ai passé une commande de masques FFP2. Mais cette commande n'est jamais arrivé, elle avait été réquisitionné. Cet épisode m'a fait comprendre la gravité de la situation. Fin février nous avions tous pris conscience que ça a allait frapper la France. Il fallait donc se préparer.
Les centres de santé, notre maison de santé et beaucoup de cabinets de médecins libéraux ont réfléchi à une réponse à l'échelle du territoire. La réponse retenue a été de mettre en place des organisations dans des structures existantes et de les rendre visibles. Ce qui a permis aux autres professionnels de santé isolés sans locaux aux normes de confier leurs patients infectés.
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Quelle analyse portez-vous sur la gestion de la crise par les pouvoirs publics ?
Avoir confié l'intégralité des appels au SAMU c'est totalement idiot. Il était évident que le 15 ne pouvait absorber l'afflux d'appels. Un ami du SAMU m'a même alerté sur des patients atteint d'infarctus "perdus" parce qu'ils ont mis 80 minutes à arriver sur place. Le SAMU submergé, nous nous sommes signalés avec les centres de santé auprès de leur service. Le message était simple et clair: "nous sommes organisés, envoyez nous des patients". Ça n'a pas du tout fonctionné.
Sur le système de santé, le lien ville-hôpital a de nouveau très mal fonctionné. Le gouvernement a mal cerné l'apport qu'aurait pu avoir la mobilisation des professionnels de santé ambulatoires, ils auraient pu être plus efficient. Le reflex a été de se replier sur l'hôpital, c'est plus facile, ils ont la main dessus. On a du mal à comprendre leur vision globale. Quel est le rôle de l'hôpital ? Quel est le rôle à jouer pour la ville ? Pour plus de 80 % des cas atteint du covid-19 c'est une pathologie de médecine générale, 20% nécessitent une hospitalisation et 5% une réanimation. Mais tout a été vu par le prisme d'une toute petite partie de l'hôpital: la réanimation.
"Il ne faudra pas oublier pourquoi on en est arrivé là"
Puis il y a la communication sur le matériel, elle a été calamiteuse. Le matériel a été un point de crispation énorme. Ils auraient été gagnant de dire "Il n'y a pas de stock, le marché mondial est très compliqué, attendez vous à ne pas être suffisamment protégé" Cette communication maladroite sur le matériel a beaucoup occupé l'espace médiatique. Pendant ce temps là on a pas parlé du creusement des inégalités sociales que tout cela a occasionné , des patients qui ont des maladies chroniques que l'on ne voit plus, de l'isolement des personnes âgées, des gamins qui se nourrissent mal, tout un tas de sujets qui n'ont pas été traité.
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Comment s'est passé votre entrevue avec le président de la république ?
J'avais eu peur d'une visite éclair mais il est resté une heure dans nos locaux dont vingt minutes en privé. C'était l'occasion de l'alerter sur les usagers exclus du soins, les effets négatifs de la télé-consultation, la crainte de sacrifier les soins primaires après la crise, le rapprochement entre les médecins libéraux et les centres de santé, l'inquiètude de ne plus voir les patients malades chroniques,... Il a écouté, dire qu'il a entendu, je n'en sais rien.
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Cette crise a-t-elle amené un point positif ?
La solidarité ! Les patients, les associations et les habitants ont mis en place des dons de matériels, des prêts d'appartements pour les patients en "isolement", des distributions de nourriture à domicile, et pleins d'autres choses. Cela a montré que les gens ont envie de faire le bien et beaucoup l'ont fait.
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Qu'attendez-vous de l'après crise ?
Une forte prise de conscience politique. Il ne faudra pas oublier pourquoi on en est arrivé là. Il ne faudra pas oublier les sacrifices des soignants qui ont pris des risques pour leur vie. Il ne faudra ps oublier l'intérêt d'être souverain dans les secteurs comme les médicaments, le matériel médical, les masques, l'oxygène, etc... Il ne faudra pas oublier les facteurs, les caissières, les chauffeurs de bus, les livreurs, toutes ces personnes qui ont montré à quel point ils sont indispensables à la société. Le politique va tenter de revenir aux fondamentaux une fois l'orage passé. Les citoyens vont devoir faire entendre leurs voix de façon massive pour que cela change.