Comment vivez vous cette période ?

C'est un grand chamboulement dans mon activité. Beaucoup de nos patients ne viennent plus par peur. Les injonctions à ne pas sortir ont été très fortes. Même dans les médias c'était "ne sortez pas de chez vous" , "si vous avez des symptômes de covid appelez le 15". Cette communication délétère a éloigné des gens qui ont besoin de nous.

Et la télé-consultation ?

C'est très compliqué. D'un côté il y a notre métier qui est avant tout un métier relationnel et clinique, et de l'autre les patients qui ont du mal à régler les problèmes à distance surtout ceux qui ont un niveau de littératie assez bas. Il faut comprendre que la médecine générale se définit par la prise en charge biomédical, psychologique et sociale, c'est l'intrication des trois et c'est en permanence l'intrication des trois. La consultation classique nous amène vers la prévention, le dépistage, à parler des vaccins, etc... Nous faisons des diagnostics de "situation", on prend en charge une situation et pas juste une maladie. Or la télé-consultation se limite souvent au motif initial. Ce n'est pas adapté à notre métier. Et ma crainte c'est que les pouvoirs publics profitent de l'occasion pour développer de manière importante les télé-consultations.

Quelle analyse portez-vous sur la gestion de la crise par les pouvoirs publics ?

Je pense qu'elle a été hospitalo-centrée. Très rapidement le message dominant en cas de symptôme était "faites le 15" mais n'allez surtout pas voir votre médecin de proximité. La suite tout le monde la connaît, engorgement de l'hôpital, demande de moyens, déblocage de fond, et tout ça a encore plus reporté les gens vers l'hôpital, donc ré-engorgement et ainsi de suite.

"L'hôpital n'aurait dû être qu'un troisième recours"

Selon moi c'est une mauvaise réponse aux maladies infectieuses. Certes cette maladie peut devenir grave et mortelle mais elle est très majoritairement bénigne. La réponse à cette crise aurait dû se faire au sein d'une coordination entre l'ambulatoire et l'hospitalier avec une gradation des niveaux de recours. Un premier recours par les soins primaires (médecins généralistes et leurs équipes), un deuxième recours par les médecins spécialistes ambulatoires puis l'hôpital en troisième recours. Dans notre centre de santé nous sommes capables de prélever des gens en masse. Le laboratoire avec qui nous travaillons peut les analyser, mais il lui faut les réactifs et nous les écouvillons. Je pense aussi que l'hôpital est tràs identifiable pour les pouvoirs publics : il est beaucoup plus facile de livrer dix mille masques dans un hôpital que cinq cents dans vingt structures de soins primaires.

Cette crise a-t-elle amené un point positif ?

Oui, sur Pantin nous étions en train de constituer ce que l'on appelle une Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS) c'est un groupement des acteurs de santé et sociaux autour d'un projet de santé. Nous étions dans les prémices d'une constitution de cette communauté et l'épidémie a accéléré les choses. Nous avions du mal à faire venir du monde pour discuter du projet et là très rapidement on s'est mis en contact avec tout le monde. On a mis en place des outils de communications pour organiser la réponse à l'épidémie sur le territoire, on s'est mis aussi à parler avec l'hôpital ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps.